Nuit éternelle, désobéissance esthétique – Centre Clark

Nuit éternelle, désobéissance esthétique
26.06–02.08.2025
Commissaire: Amed Aroche
Lester Alvarez, Kevin Avila, Raychel Carrión, Liliam Dooley, Leandro Feal, Ernesto Oroza, Luis Manuel Otero Alcantara
Salle 1 et 2

Nuit éternelle, désobéissance esthétique s’appuie sur une lecture critique du contexte politique cubain et des pratiques artistiques actuelles pour articuler la présentation de sept œuvres qui explorent l’art indépendant sur l’île comme forme de résistance. Organisée autour de deux notions de la nuit, en tant qu’espace-temps politique et métaphore d’un État inamovible, l’exposition rassemble des œuvres traversées par la censure et le désir d’autonomie, qui fonctionnent à la fois comme des documents politiques et des actes de désobéissance esthétique. Cette définition n’est pas pensée comme une esthétique formelle, mais comme une action incarnée : une manière de sentir, de penser et de signifier qui défie les normes imposées, en particulier dans un contexte où des lois comme le décret 349 institutionnalisent la répression de l’art non aligné avec le pouvoir.

C’est le cas de Luis Manuel Otero Alcantara, artiste emprisonné depuis 2021 dans une prison de haute sécurité à Cuba. Sa performance Les enfants sont nés pour être heureux·euses, pas pour mourir dans des effondrements (2021) a été l’une de ses dernières actions avant son incarcération. Otero travaille selon la logique de l’art of political timing specific : une pratique issue d’une immersion sociale et politique dans la vie quotidienne de la ville, portée par une sensibilité presque ethnographique.

De son côté, Ernesto Oroza présente Quodlibet (Exposicuba) (2025), une œuvre qui active diverses archives pour tisser des récits politiques et esthétiques sur la Cuba contemporaine. S’appuyant sur une recherche en cours sur le Pavillon cubain de l’Expo 67 à Montréal, Oroza noue des liens entre l’iconographie, l’histoire de ce bâtiment emblématique et les expériences de surveillance et d’emprisonnement vécues par des artistes cubain·es contemporain·es, dont Hamlet Lavastida et Luis Manuel Otero Alcantara.

Dans l’installation Library for Spine Readers (2024), Lester Alvarez et Kevin Avila présentent une archive ironique qui parodie la censure d’État à travers la création de titres fictifs de livres impossibles à publier sous un régime autoritaire. Dans son édition montréalaise, les titres ont été imaginés par des artistes, étudiant·es et chercheur·es vivant à Montréal, dont certain·es issu·es de différentes communautés diasporiques. Ainsi, une œuvre initialement centrée sur la censure à Cuba devient alors une réflexion sur les multiples formes de censure possibles.

Dans cet esprit d’écriture et de réécriture de l’histoire, l’artiste et designer Liliam Dooley brouille les frontières entre art et design en actualisant les messages politiques de certaines affiches emblématiques de l’histoire graphique cubaine. Dans une première affiche, Dooley transforme le titre Besos Robados (1970) en Derechos Robados (2025). Elle applique le même geste à une affiche intitulée Solidaridad con Cuba (1969) de Félix Beltrán, conservée dans la collection du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM).

Dans Fallas de origen (2008), Raychel Carrión défile au ralenti lors de la traditionnelle marche du 1er mai à La Havane. Par une politique de la lenteur, l’artiste ralentit et désautomatise la chorégraphie officielle de l’événement, intervenant de manière critique à même  sa théâtralité. Le corps de l’artiste interrompt le scénario du pouvoir, remettant en question les discours hégémoniques de l’État. À l’opposé de l’idéal révolutionnaire de l’homme fort, obéissant et invincible, Carrión incarne une figure vulnérable et dissidente. Fallas de origen propose une réflexion percutante sur la relation entre l’individu et la masse à Cuba.

La fête surveillée (2015–2024), vidéo documentaire du photographe et vidéaste Leandro Feal, s’inscrit dans une logique désobéissante d’archivage et de documentation d’une réalité autre : le récit d’un monde parallèle à la doctrine étatique de l’État cubain, situé dans l’espace-temps de la nuit havanaise. Dans cette vidéo se croisent des corps qui trouvent refuge une fois le soleil couché et réinventent la réalité à partir du capital politique de la fête.

Par le biais de cette mise en scène d’archives, de collections et de documents, l’exposition se présente comme un essai critique autour de l’esthétique de la désobéissance véhiculée par la dissidence politique que permet  l’art. Le commissariat cherche à ouvrir la conversation afin de repenser les horizons politiques dans un monde de plus en plus violent, injuste et polarisé.

 

Photo: extrait de la vidéo La fiesta vigilada, Leandro Feal (2015-2024)